Les cartels sont des accords entre producteurs qui ont des implications sur les prix et la libre concurrence. La littérature spécialisée s’est penchée sur leurs conséquences tant négatives que positives sur le consommateur, et le marché libre, tandis que les États et les organisations internationales cherchent à les réglementer.

Les cartels désignent des accords implicites ou explicites entre producteurs d’un même secteur : « dans le but de limiter la production, de fixer les prix, de répartir les marchés, de déterminer les quotas de vente, de fabrication et de distribution et de distribuer les bénéfices entre chaque membre » (Delpirou et Mackenzie, 2000), tant au niveau national qu’international. Les cartels ont plusieurs implications pour les marchés économiques et la société dans son ensemble. D’une part, ils peuvent stimuler l’innovation et le progrès ou peuvent constituer une pratique anticoncurrentielle, telle qu’une baisse artificielle du pouvoir d’achat. Outre les répercussions économiques sur la formation des cartels, notamment sur la libre concurrence, ils ont également un impact social car ils créent des obstacles artificiels à l’esprit d’entreprise et à la création d’emplois.

Les cartels sont soumis à un système juridique complexe à plusieurs niveaux et à des réglementations. La régulation concurrentielle des marchés « [emprunterait] au droit, à l’économie et à la conduite des politiques publiques » (Dewost, Lasserre & Saint-Esteben, 2012). Les régulations sont généralement nationales et établissent les limites entre légalité et illégalité des accords. En Europe, on retrouve une source normative dans la Constitution de l’Union européenne : l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (2008) stipule qu’une entente est légale si les accords « contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en permettant aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte ». En effet, les pouvoirs publics peuvent légitimer des ententes synonymes de stabilisation économique et de modernisation (Barjot, 2013 dans Didry & Marty, 2016).

Or, de par la difficulté de respecter des accords économiques efficaces – les cartels sont par nature des pratiques secrètes, les juges préfèrent travailler avec prudence et ne pas appliquer de sanctions mécaniques. La Commission européenne agit ainsi selon deux critères : « concurrence suffisante » et « progrès économique ». En effet, la Commission évalue si l’entente viole effectivement la concurrence et si elle « contribue suffisamment au progrès économique et social pour compenser les infractions à la concurrence qu’elle implique » (Delpirou & Mackenzie, 2000). Ainsi, le droit de la concurrence serait « un instrument de protection de l’intérêt général », de par « le contrôle des comportements (pratiques anticoncurrentielles), mais aussi des structures (fusions) » (Dewost, Lasserre et Saint-Esteben, 2012).

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Au niveau international, les états disposent souvent d’autorités nationales similaires, dont beaucoup font partie du Réseau International de la Concurrence. Leurs projets sont axés sur « la lutte contre les ententes et les abus de position dominante, le contrôle des concentrations et d’autres questions de politique de concurrence, […] ». Les autorités nationales supervisent cela et produisent divers rapports et pratiques exemplaires (Autorité de la concurrence, 2019).

L’un des débats les plus intéressants concerne la protection des droits fondamentaux et l’efficacité du droit de la concurrence qui devient visible chez les partisans et les détracteurs des pratiques d’ententes. L’un de ses défenseurs est l’économiste américano-autrichien Joseph Schumpeter, qui affirme que les cartels protègent les entreprises les plus faibles en partageant les risques et en stabilisant les marchés, ce qui protège indirectement les intérêts des consommateurs. En outre, Schumpeter et l’économiste français Jean Magnan de Bornier soutiennent que la création de monopoles due aux cartels pousse l’innovation par les profits plus élevés qu’elle génère par rapport aux entreprises concurrentes. De plus, les cartels n’ont pas à défendre leur position et peuvent donc consacrer du temps et de l’argent à l’innovation sans craindre de perdre leur monopole. Cependant, des critiques tels que l’économiste William Fellner estiment que les cartels sont moins engagés dans l’innovation que les entreprises concurrentes car, contrairement à ce que prétend Bornier, les bénéfices seraient plus faibles. Enfin, les cartels ne seraient pas compatibles avec une vision moderne et capitaliste du monde, car ils porteraient atteinte aux principes du libéralisme de marché et de la libre concurrence (Delpirou et Mackenzie, 2000).

La perspective de l’économie politique internationale serait alors pertinente pour analyser ce phénomène lié aux questions économiques. En fait, sa prévention et son démantèlement nécessitent l’intervention d’acteurs qui vont au-delà des sociétés transnationales, tels que la société civile, les ONG ou les tribunaux. En ce sens, les autorités publiques doivent assurer un équilibre entre les règles de concurrence et la protection de l’ordre public (économique).

Le cadre juridique transnational n’est pas suffisamment clair et précis pour poursuivre et sanctionner les violations commises par des entreprises qui conviennent illégalement et/ou constituent des accords internationaux. L’économie politique internationale fournit des outils académiques qui permettent d’étudier et de comprendre tous les enjeux de ce phénomène hybride issu du droit, de l’économie et des politiques publiques. Une menace et un risque mondiaux tels que ceux des cartels transnationaux ne peuvent être combattus par la seule législation locale ; c’est en ce sens qu’un cadre juridique international pourrait exercer une mesure contraignante pour les accords internationaux.

L’exemple de l’arrêt de première instance de la Cour de justice des Communautés européennes met en lumière les relations de pouvoir et les interactions entre les cartels. A l’issue des enquêtes, les autorités ont accusé des entreprises établies aux États-Unis d’avoir constitué une entente entre 1992 et 1995 sur le marché des compléments alimentaires. La Commission a constaté « l’existence d’une série d’accords couvrant l’ensemble de l’Espace économique européen sur les prix, le volume des ventes et l’échange d’informations individuelles en 1990 et 1995 ». Cet accord est basé sur une relation de pouvoir entre les différentes parties adhérentes. La Commission a infligé des amendes différentielles conformément à l’article 15 du règlement, nonobstant la gravité de l’infraction.  En fait, le montant des amendes dépendait de la durée de la participation à l’entente et des circonstances. Dans sa décision finale, la Commission a alloué un montant total d’amendes d’environ 110 millions d’euros, qui a ensuite été considérablement réduit en appel. En conséquence, il convient de noter que la loi et les diverses sanctions qui s’y rapportent ne sont pas pleinement appliquées (Commission des Communautés européennes, 2003).

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Références

Autorité de la concurrence française (2019). Disponible: https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/liste-des-decisions-et-avis?id_rub=354 

Commission européenne (2003). À l’occasion d’une entente sur le marché de la lysine, le Tribunal de première instance clarifie les critères concernant la fixation du montant des amendes. communiqué de presse, 9 juillet. CJE/03/58. Available at: europa.eu/rapid/press-release_CJE-03-58_fr.pdf

Delpirou, A., & Mackenzie, E. (2000). Les cartels criminels. Paris: Presses Universitaires de France.

Didry, C., & Marty, F. (2015). La politique de concurrence comme levier de la politique industrielle dans la France de l’après-guerre. Gouvernement et action publique, 4(4), 23-45.

Dewost, J. L., Lasserre, B., Saint-Esteben, R. (2012). L’entreprise, les règles de concurrence et les droits fondamentaux: quelle articulation? Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 35(2), 187-219.

Diario Oficial de la Unión Europea. (2008). Versión consolidada del Tratado de Funcionamiento de la Unión Europea. Accessed: https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:88f94461-564b-4b75-aef7-c957de8e339d.0010.01/DOC_3&format=PDF


Luis Fernando Cruz Araujo

Kenza Kebaili

María Valentina Leal Torres

Caroline Lot

Laura Ponce

beenhere

Publié en 2021

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