La criminalité transnationale est un problème qui est loin d’être récent, mais auquel les États actuels tentent de répondre, notamment à travers des organisations internationales et des mécanismes de régulation, soulignant ainsi une volonté de coopération internationale sur le sujet.

La criminalité transnationale s’appuie sur des réseaux criminels organisés. Ils opèrent dans plus d’un État, sont minutieusement préparés, leur crimes sont variés et le produit bien souvent blanchi. Les activités majeures concernant les criminalités transnationales prennent plusieurs formes, elles varient selon les contextes, régions et époques. Ces pratiques illicites relèvent d’échanges internationaux unissant deux ou plusieurs partenaires qui, avec ou sans la garantie des acteurs et/ou institutions étatiques, transgressent les réglementations nationales. Nicolas Queloz identifie l’action criminelle au niveau international selon trois critères : les atteintes – éventuellement violentes – contre les personnes et les biens ; l’organisation de trafics illicites fortement rémunérateurs (contrefaçon, trafic de drogue, d’armes…) ; et la criminalité économique et d’affaires – par exemple, les escroqueries, les fraudes, la corruption et le blanchiment d’argent (Queloz, 1999). La Convention des Nations Unies contre le crime transnational (CTO), signée à Palerme en 2000 et entrée en vigueur depuis 2003, définit précisément les infractions de nature transnationale susceptibles d’impliquer des groupes criminels ; celles-ci incluent la participation à un groupe criminel organisé, le blanchiment du produit du crime, la corruption et l’entrave au bon fonctionnement de la justice. Trois protocoles additionnels complètent la liste avec la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le trafic illicite de migrants, et la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu. Ces instruments fixent également le cadre de la coopération internationale en vue de lutter contre de telles infractions. Malgré les efforts de coopération déployés par les gouvernements, de nombreux facteurs, notamment liés à la mondialisation, continuent de rendre possible la criminalité transnationale.

Il convient de souligner que les études menées sur cette thématique posent un problème relatif au manque de données empiriques fiables (Mittelman & Johnston, 1999). Les organisations criminelles ne vont évidemment pas dévoiler des informations relatives à leurs activités politiques et économiques. Le peu de sources dont nous disposons provient d’autres méthodes. Par conséquent, la criminalité transnationale se trouve en marge des recherches en économie politique internationale et son analyse reste souvent journalistique, handicapée par des données non fiables et dont la collecte peut être dangereuse pour les chercheurs (Friman, 2001).

Photo © Alexei Novikov – Dreamstime.com

La criminalité transnationale remonte au temps de la contrebande, telle que pratiquée par les organisations criminelles italiennes au XIXe siècle et les premières triades chinoises au XVIIe siècle. On peut même considérer qu’elle a toujours été présente au sein de l’ensemble de l’œcoumène sous des formes diverses suivant les époques et les lieux (Koutouzis & Perez, 2012). Mais elle tend à prendre une plus grande ampleur avec l’émergence de la mondialisation des échanges économiques et financiers entre différents acteurs (non-)étatiques. En effet, les mesures libérales adoptées pour favoriser la mondialisation structurent un cadre opportun à la création des organisations criminelles transnationales (Clapp et al,. 1999). Ainsi, ces évolutions ont apporté de nouveaux moyens et de nouvelles techniques pour dissimuler des revenus d’origine illicite et les investir dans l’économie légale. Généralement, ces organisations, de par leurs activités prédatrices, cherchent à exercer leur pouvoir dans un ou plusieurs territoire(s) donné(s) afin d’accroître leur chiffre d’affaires en maximisant leurs profits.

Photo © Tinnakorn Jorruang – Dreamstime.com

Robert Cox (2002) souligne que ces activités illicites, occasionnellement visibles, sont souvent occultées ou supprimées de la conscience humaine. Il utilise le concept de « monde clandestin » pour faire référence à cela. Toutefois, dans ce système international, le caractère « illicite » de la criminalité transnationale, qui génère de grands bénéfices, permet à certains États et organisations privées de se démarquer de celles et ceux qui pratiquent des activités licites dans le marché globalisé. D’une certaine manière, l’économie illicite semble constituer une valeur économique non négligeable pour les acteurs non étatiques et les États eux-mêmes. Notons également qu’il peut s’avérer qu’il y ait de manière intrinsèque une forme de « partenariat » (in)volontaire entre une organisation criminelle et un État. A titre d’exemple, on peut illustrer la vente d’armement de la part de l’Arabie Saoudite à l’État islamique, ou encore certains États tels que le Panama qui accueille les grandes sociétés offshore. Néanmoins, ce rapport illicite doit être analysé avec une certaine objectivité, afin de comprendre les liens réciproques que ces deux dimensions cultivent mutuellement dans un cadre internationalisé.

En suivant l’économie politique internationale de Susan Strange (1996), cette configuration économique et politique échappe partiellement au contrôle des États. Pour elle, les oligarques internationaux s’accaparent les richesses mondiales et imposent leur vision politique libérale aux autres États. Elle observe que le pouvoir se propage des acteurs étatiques aux non-étatiques et, spécifiquement aux marchés mondialisés. Autrement dit, les « zones grises », qui échappent au contrôle des institutions légitimes, constituent un terrain propice à la gouvernance criminelle (Minassian, 2011). Par conséquent, les États essayent d’avoir une position centrale et contraignante face à ces enjeux économiques de la la criminalité internationale. Cela ne va pas de soi pour les défenseurs du néolibéralisme pour qui l’intervention de l’État doit être la plus limitée possible sur les plans économiques et politiques. Selon ce courant, le marché est caractérisé par un mécanisme naturel, qui engendre spontanément l’équilibre, la stabilité et la croissance économique. Ainsi comprises, les interventions des pouvoirs publics peuvent freiner et paralyser le concept économique du « laissez-faire ». Derrière cette philosophie libérale il y a donc le risque de laisser une certaine marge de manœuvre aux entités clandestines qui nourrissent la criminalité transnationale. En conclusion, les conséquences de la criminalité transnationales, poussées par un cadre (il)légal, sont nombreuses. Nous pouvons observer un impact négatif sur la vie politique, économique, sociale (Vieille, 1988) et écologique (Manirabona, 2014). Pour comprendre ce phénomène, la séparation disciplinaire de la politique et de l’économie ne semble pas être pertinente. L’approche de l’économie politique internationale nous donne une meilleure compréhension car elle est plus holistique et offre un éclairage sur les relations complexes entre les différents acteurs politiques et économiques pratiquant des activités licites et/ou illicites dans un système internationalisé et globalisé.

Références

Cox, R. (with M. Schechter) (2002). The Political Economy of a plural World: Critical reflections on power, morals and civilization. London: Routledge.

Friman, H. R. (2009). Crime and the Global Political Economy. Boulder: Lynne Rienner.

Friman, H. R., & Andreas, P. (1999). The Illicit Global Economy and State Power. Rowman & Littlefield.

Koutouzis, M., & Perez, P. (2012). Crime, trafics et réseaux : Géopolitique de l’économie parallèle. Ellipses.

Manirabona, A. (2014). La criminalité environnementale transnationale: aux grands maux, les grands remèdes?. Criminologie, 47(2), 153-178.

Minassian, G. (2011). Zone grises : Quand les Etats perdent le contrôle, Paris : Autrement.

Mittelman J. H., & Johnston R. (1999). The Globalization of Organized Crime, the Courtesan State, and the Corruption of Civil Society. Global Governance, 5(1), 103-126.

Queloz N. (1999). A-t-on encore des raisons de distinguer criminalités économique et organisée ? Les Cahiers de la sécurité intérieure, 36(2)

Strange, S. (1996). The Retreat of the State: The Diffusion of Power in the World Economy. Cambridge: Cambridge University Press. Vieille, P. (1988). The World’s chaos and the new paradigm of the social movement, in Theory and Practice Of Liberation at the End of the XXth Century. Brussels: Bruylant.


Tatianna A. Bonillas

Z. Ivan O. Cajamarca

Gaetan Deletroz

Sergio A. Londono

Simon Roquet

Samson Yemane   

beenhere

Publié en 2021

                                                

Licence Creative Commons
Les textes sont mis à disposition selon les termes de la Creative Commons Non-Commercial License.