Les déchets électroniques sont un nouveau problème transfrontalier qui se pose à la suite de la consommation croissante de produits de haute technologie, ce qui remet en question la construction de réglementations sur les déchets dangereux pour l’environnement et la santé.

Depuis les années 1990, la révolution numérique a augmenté la production massive d’appareils, d’imprimantes, de smartphones et, de manière plus générale, de produits électriques et électroniques dont les cycles de vie sont limités. Ils sont composés de métaux rares de grande valeur commerciale ainsi que de substances dangereuses et toxiques. Lorsque ces produits atteignent un certain seuil d’utilisation, ils peuvent être étiquetés comme déchets d’équipements électriques et électroniques, représentant ainsi la catégorie de déchets DEEE.

Selon un rapport de l’Union internationale des télécommunications, l’humanité génère près de 50 millions de tonnes de DEEE, dont moins de 20% sont traités formellement (UIT, 2019). Ces déchets dangereux occupent une place croissante sur les territoires et impliquent une augmentation massive de déchets chimiques, dont beaucoup restent des centaines d’années dans l’environnement car ils ne se dégradent pas naturellement et restent intacts (O’Neill, 2018). Ces produits sont traités par des travailleurs formels et informels et selon l’association internationale des déchets solides, la mauvaise gestion de leur décharge est associée à 750 décès dans le monde par année (ISWA 2016, cité dans O’Neill, 2018).

Tous les pays n’utilisent pas le terme « déchets dangereux » pour désigner les déchets électroniques, car leurs connaissances sur ces objets varient (Bertolini, 2003). En effet, le concept de déchets n’a pas de définition convenue entre les spécialistes. Dans une perspective économique, un produit deviendrait déchet dès lors qu’il ne respecte pas les réglementations du pays d’origine. Or, les critères de conformité d’un produit varient selon les pays, notamment entre pays du centre et pays périphériques (O’Neill, 2018). Lors de l’échange commercial de déchets, le prix payé par l’exportateur pour le traitement futur des déchets doit être pris en compte. Ainsi, les réglementations devraient inclure une évaluation plus rigoureuse des externalités du produit électronique importé (Bertolini, 2003).

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Le traitement des déchets électroniques soulève la question du cadre juridique, économique et politique entourant les réseaux transnationaux de ceux-ci. Le cadre légal international manque de consensus. La première législation à ce propos est la Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux ratifiée par 53 pays. En 2009, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a produit un rapport « condamnant fermement les mouvements et les déversements de produits et déchets toxiques et dangereux, qui ont un impact négatif sur la jouissance des droits de l’homme ». En outre, l’OCDE et l’Union européenne sont devenues des acteurs importants dans l’élaboration d’« instruments de contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux adoptés au niveau supranational » (Denoiseux, 2010). Enfin, en 2017, l’Union internationale des télécommunications, l’Université des Nations unies et l’Association internationale des déchets solides ont lancé une initiative, intitulée Global e-Waste Statistics Partnership (GESP), pour surveiller le développement des déchets électroniques.

Le traitement des déchets électroniques peut être formel, informel, légal et illégal, ce qui rend difficile la réglementation de leur commerce. En outre, les réglementations qui peuvent être appliquées à ces déchets varient en fonction de la législation de chaque État et des conventions internationales qu’ils ont signées. L’internationalisation du droit pénal pourrait être utile pour harmoniser ces réglementations. Cependant, l’existence d’une tension entre le droit international et le droit national rend difficile la régulation de ce commerce. Par conséquent, la notion de déchets électroniques reste ambiguë et susceptible d’être manipulée en faveur des négociants de ces produits.

Ces échanges s’inscrivent dans un contexte. Dans cette perspective, les firmes ont tendance à défendre leur intérêt au détriment de l’écologie. Ainsi, les entreprises se baseraient sur une approche volontaire pour la responsabilité environnementale plutôt que l’application de normes imposées, soulignant l’adoption de réglementations environnementales flexibles et compatibles avec le marché (Morin et Orsini, 2015: 183-206). En effet, ces transferts suivraient avant tout une logique commerciale : par exemple, il serait dix fois moins coûteux d’envoyer les moniteurs en Chine que de les recycler aux États-Unis (Bertolini, 2003). Une approche pluraliste défend cependant une certaine diversité dans les positions politiques des entreprises : en effet, si la logique de profit reste dominante pour les firmes, « celle-ci n’est pas unique et, dans certaines circonstances, [elles] défendent activement des mesures environnementales contraignantes » (Bertolini, 2003).

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D’autres acteurs non étatiques, tels que les ONG, remettent en question la grande marge de manœuvre dont disposent les entreprises pour éviter la responsabilité des déchets électroniques. En effet, si un déchet dangereux est considéré comme recyclable, cela peut faciliter la légalisation des transferts commerciaux, alors qu’en réalité le recyclage est « fictif ou très partiel » (Bertolini, 2003). Les ONG dénoncent donc que les entreprises font un « faux recyclage ». Ces acteurs attendent des gouvernements qu’ils forcent les entreprises à assumer leurs responsabilités en matière d’externalités environnementales. Cette lecture s’inscrit dans la lignée du mouvement néogramscienne, qui propose un regard explicitement critique sur les entreprises (Levy et Newell cité par Morin et Orsini, 2015).

Par exemple, la Fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement a mis en lumière en 2012 la condamnation des exploitants de la société française D3E Recyclage qui auraient exporté divers déchets électroniques vers l’étranger « sans procéder aux nombreuses formalités administratives prévues par la réglementation sur les transferts transfrontaliers de déchets ». Dénoncés par l’association, les juges ont condamné pénalement D3E Recyclage.

L’étude des rejets (discard studies) représente un nouveau domaine de connaissances faisant appel à l’économie politique internationale et aux politiques environnementales globales. Cette perspective permet d’étudier les implications politiques et géographiques des flux de déchets, qui seraient sujet à de puissants intérêts et enjeux de pouvoir. De plus, elle permet d’étudier les liens entre l’économie globale et l’environnement ainsi que les pratiques de résistance par les ONG. L’apport d’une perspective de science humaine permet une compréhension des rôles élargis du traitement des déchets dans notre société et nous permet de mettre en lumière de plus grandes tendances sociales et politiques (O’Neill, 2018).

Références

Bertolini, G. (2003). La régulation des mouvements trans-frontières de déchets. Un dispositif à consolider. Géographie Économie Société5(1), 91-105.

Casabee. (2015). Le juteux business des trafics de déchets. http://www.casabee.eu/le-juteux-business-des-trafics-de-dechets/

Denoiseux, D. (2010). L’exportation de déchets dangereux vers l’Afrique : le cas du Probo Koala. Courrier hebdomadaire du CRISP, 2071(26), 5-47.

Morin J-F., & Orsini, A. (2015) Politique internationale de l’environnement. Paris: Presses de Sciences Po.

O’Neill, K. (2018). The new global political economy of waste. In A Research Agenda for Global Environmental Politics. Cheltenham: E. Elgar, 87-100.

UIT. (2019). Communiqué de presse. 24 janvier. Union internationale des télécommunications. Accessed in: https://www.itu.int/fr/mediacentre/Pages/2019-PR01.aspx


Luis Fernando Cruz Araujo

Kenza Kebaili

María Valentina Leal Torres

Caroline Lot

Laura Ponce

beenhere

Publié en 2021

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