L’idée centrale de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est que les entreprises ont des responsabilités allant au-delà de leurs obligations financières envers les investisseurs ou les actionnaires de l’entreprise.

Ce concept interprète l’interaction entre l´entreprise et son contexte social, politique et environnemental comme faisant partie d’un processus nécessitant la négociation de normes. La construction de réglementations est comprise dans un sens large qui ne fait pas nécessairement référence à l’élaboration de cadres juridiques imposés par l’État. Par exemple, les mécanismes de réglementation que les entreprises appliquent volontairement pour s’adapter aux attentes et aux demandes de la société sont également considérés comme effectifs (Sheehy, 2015). Autrement dit, l’idée de la RSE met en évidence la manière dont les entreprises s’adaptent à leur contexte pour promouvoir le bien-être de leur environnement ou pour faire face aux pressions sociales. Par conséquent, ce concept reconnaît la nécessité de développer des degrés d’autorégulation au sein des entreprises.

Même si les valeurs véhiculées par la RSE remontent au XIXe siècle, aux pratiques philanthropiques d’hommes d’affaires américains, l’invention du terme est généralement attribuée à Howard Bowen (Bowen, 1953). Il considère les entreprises comme un centre du pouvoir d’où les décisions pouvaient affecter l’ensemble de la vie sociale et pour laquelle elles devaient assumer des responsabilités sociales plus larges que la philanthropie (Crespo Razeg, 2010, p.123). Après son apparition, le concept a fait face à des controverses lexicales. Milton Friedman (1970) a fait valoir à la fin des années 1960 que l’affectation des ressources de la société à des fins sociales limitait la liberté d’entreprendre. C’est en ce sens que la responsabilité sociale des entreprises a été périodiquement remise en question dans certains milieux libéraux. Au début des années 1970, le débat a mis en évidence la responsabilité environnementale des entreprises, basée avant tout sur l’expérience des industries extractives. Dans les années 1980, au sein des écoles de l’administration américaine, le concept est devenu plus complexe lorsqu’il a été associé au terme de « partie prenante », qui a servi à inclure des acteurs externes à la firme dans la gestion des risques de celle-ci. Ainsi, jusque dans les années 1990, la RSE a continué à évoluer jusqu’à ce qu’elle soit comprise comme un guide pour un comportement plus robuste des entreprises, susceptible d’accroître la durabilité de leurs activités (Pariotti, 2009).

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Comme la RSE a été conceptualisée principalement du point de vue économique, des divergences subsistent au sein des recherches universitaires sur sa signification. La perspective de l’autorégulation et de l’engagement volontaire reste le récit prédominant en économie et en gestion des entreprises (Wickert et al., 2017). Ce point de vue met l’emphase sur l’idée selon laquelle la RSE représente une alternative innovante permettant de concilier les intérêts de l’entreprise avec les exigences sociales et environnementales. Depuis plusieurs années, certains auteurs mettent néanmoins en avant la dimension politique de la RSE. Elle peut être comprise comme une stratégie des multinationales en lien avec la fourniture de biens publics, dépendant notamment de l’amélioration de leurs relations avec les États hôtes pour accroître leur légitimité (Beddewela et Fairbrass, 2016; Scherer et al., 2016 ; Zhao, 2012). L’économie politique internationale permet d’approfondir la compréhension de ces enjeux. Par exemple, dans le cas des entreprises extractives, elle analyse la RSE comme un instrument de légitimation sociopolitique qui tend à normaliser la faiblesse de la réglementation de l’État sur les entreprises (Brueckner et al., 2018, Cook et Haigh, 2018: 123). Bien que cela ne présuppose pas qu´une politique de RSE soit préjudiciable, l’analyse questionne l’autorégulation comme moyen le plus efficace de contrôler le pouvoir des entreprises dans un objectif de bien commun (Afsharipour, 2018: 97). Elle questionne également l’efficacité des mécanismes volontaires pour modifier le comportement des entreprises.

En ce sens, L’économie politique internationale offre des outils utiles pour comprendre la nature politique de la RSE, dans la mesure où elle rend visible l’interaction entre les entreprises, l’État et la société. Par exemple, l’approche néo-gramscienne de la RSE met en avant l’importance du processus de légitimation sociale dans la construction des ordres politiques et la constitution de la classe capitaliste transnationale (Worth, 2011 ; Levy et Palpacuer, 2017). Selon cette perspective, l’accumulation de capital est intimement liée à la construction de légitimités sociales. Le prestige social des entreprises et de leurs dirigeants est donc essentiel à la stabilité des entreprises. En ce sens, la RSE contribue à la direction hégémonique du capitalisme en favorisant des politiques réformistes et des alliances qui ne risquent pas de remettre en cause les fondements de l’ordre sur lequel reposent les rapports de domination. De plus, dans la mesure où la RSE favorise l’autorégulation, elle défend un retrait de l’État des réglementations susceptibles d’entraver la liberté des entreprises.

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Un exemple récent qui permet de montrer la validité de ce concept et de sa nature politique est constitué par le conflit socio-environnemental qui traverse actuellement la société minière chinoise MMG au Pérou. Lorsque MMG a acheté le gisement minier Las Bambas, elle n’a pas poursuivi les politiques de RSE que la société minière précédente avait approuvées avec la communauté paysanne qui vit autour de la mine. Jusqu’en 2014, le gisement était géré par la société minière suisse Glencore, qui s’était engagée à construire un pipeline pour acheminer le minerai vers un centre de traitement (El Comercio, 2019 ; EFE 2019). MMG estimait que la réalisation de ce projet n’était pas rentable, alors même que l’exploitation du gisement représentait la production de 2% de cuivre dans le monde. Par ailleurs, la décision de MMG a déclenché un grave conflit, notamment du fait que le minerai a commencé à être transporté le long d’une route non pavée, ce qui a affecté la qualité du sol et de l’air de la communauté riveraine ainsi que, dès le début, son activité agricole. En signe de protestation, entre 2015 et 2019, la communauté a bloqué le passage de camions à plusieurs reprises, ce qui a généré des tensions constantes avec la mine, entraînant une répression de la part de l’État. Cette affaire met en lumière les problèmes d’interprétation de la RSE, tout comme la question de la bonne volonté des entreprises, sachant il n’y a pas de sanctions spécifiques si l’entreprise décide de se départir de ses engagements envers la collectivité. En outre, le conflit montre que la RSE est un phénomène complexe qui implique non seulement des multinationales de pays occidentaux, mais également que le scénario d’interactions entre l’État, les entreprises et la société est de plus en plus décentralisé. Par conséquent, il est nécessaire d’actualiser le concept de RSE au-delà de son origine historique, afin de comprendre comment cette idée est réinterprétée par les entreprises des pays du Sud.

Vidéo (en espagnol): Responsabilidad Social Empresaria (RSE) o Sustentabilidad de l’Universidad Austral

Références

Afsharipour, A. (2018). Corporate Social Responsibility and the Corporate Board: Assessing the Indian Experiment. In: du Plessis, J., Varottil, U., Veldman, J. (eds). Globalisation of Corporate Social Responsibility and its Impact on Corporate Governance. Cham: Springer, 95-119.

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Pariotti, E. (2009). International Soft Law, Human Rights and Non-state Actors: Towards the Accountability of Transnational Corporations? Human Rights Review, 10(2), 139–155.

Scherer, A. G., Rasche, A., Palazzo, G., et al. (2016). Managing for Political Corporate Social Responsibility: New Challenges and Directions for PCSR 2.0. Journal of Management Studies 53(3), 273–298.

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Maria Camila Ballesteros

Hugo Da Silva.

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Publié en 2021

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