La fiscalité internationale fait référence aux règles et aux principes qui régissent le fonctionnement conjoint des différents systèmes fiscaux dans les relations économiques internationales entre les Etats et les entreprises.

La fiscalité internationale est un phénomène coïncidant avec la globalisation et lié à l’économie politique internationale. Comme il n’existe pas d’autorité fiscale unique à l’échelle internationale, la détermination de l’obligation fiscale et la collecte de l’impôt auprès de personnes physiques ou morales dépendent des lois fiscales nationales de chaque pays.

En 2022, on dénombre plus de 3’000 accords bilatéraux gouvernementaux en matière de fiscalité et plus de 90 Etats engagés à mettre en œuvre les nouvelles dispositions relatives à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices (BEPS selon l’acronyme en anglais usuel), en vue de prévenir les stratégies qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales à l’échelle internationale pour optimiser – voir éviter – le paiement de l’impôt. Introduite en 2013, la BEPS est issue d’une collaboration entre l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20, le groupe intergouvernemental réunissant dix-neuf pays (plus l’Union européenne) aux économies parmi les plus avancées.  Mais selon Jogarajan (2020), l’origine d’un régime fiscal international remonterait au moins à la Société des Nations (SDN) dans le cadre des grandes conférences financières internationales des années 1920. Une centaine d’accords bilatéraux seront mis en place durant l’entre-deux guerres et beaucoup d’autres après la Seconde Guerre mondiale.

La première caractéristique du système fiscal international est le principe de l’impôt unique, ce qui signifie que les revenus des transactions transfrontalières devraient être soumis à l’impôt une fois, c’est-à-dire pas plus mais aussi pas moins d’une fois. La deuxième caractéristique du régime fiscal international est le « principe des avantages » qui veut que les pays à la source de la création de richesse aient le droit d’imposer les revenus actifs, tandis que les pays de résidence ont le droit d’imposer les revenus passifs. Selon Jogarajan, ce principe découle de la doctrine « d’allégeance économique », développée par Georg Von Schanz à la fin du XIXe siècle, soutenant que les individus ont un devoir envers la nation de résidence et de consommation de leurs richesses.

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Au niveau mondial, selon Hearson et Rixen, l’histoire de la gouvernance fiscale internationale peut être divisée en trois périodes : (1) la fondation du régime, qui a commencé avec la Société des Nations dans les années 1920 et s’est terminé avec la création de l’OCDE dans les années 1960; (2) la stabilité des années 1960 aux années 2000, avec néanmoins une contestation graduelle résultant de l’accroissement de la double non-imposition; (3) la crise à partir de 2009 qui remet fondamentalement en question le régime existant (Hearson & Rixen 2020).

Dans le cadre de modèles fiscaux inspirés du libéralisme, un faible niveau d’impôt sur le capital forme un avantage concurrentiel favorable à l’investissement, dès lors que les capitaux sont mobiles, à l’inverse d’autres facteurs de production tels que le travail ou la terre. Mais une telle concurrence fiscale à la faveur des paradis fiscaux met aussi la pression sur de nombreux Etats en difficulté pour lever pour l’impôt de manière efficace. Swank souligne que depuis le début des années 1980, des réformes fiscales néolibérales se sont diffusées à travers le monde créant des défis de taille à l’économie capitaliste globale, notamment le creusement des inégalités, l’exécution des fonctions régaliennes et la fourniture d’un ensemble important de biens publics – dans les pays du Sud particulièrement.

Depuis les années 1980, les taux d’imposition des grosses fortunes et des multinationales ont continuellement baissé : ils sont passés de 46% en 1985 à 24% en 2014 pour les multinationales ainsi que de 45% en 1985 à 29% en 2005 pour les grosses fortunes individuelles, et cela est visible dans le monde entier, qu’ils s’agissent de pays riches ou pas (Kumar & Quinn, 2012). Par ailleurs, les « paradis fiscaux » utilisent de nombreux instruments juridiques pour pouvoir offrir le bénéfice de la résidence fiscale sans nécessité de résidence physique.

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Dans « The Retreat of the State », Strange a identifié la concurrence fiscale internationale comme un exemple caractéristique de la difficulté des États à réguler efficacement l’économie mondiale, concluant qu’il « est clair que l’échec des gouvernements à concevoir un régime fiscal commun leur impose à tous des coûts importants » (Strange 1996). Deux raisons peuvent être dégagées de l’analyse de Christensen et Hearson pour comprendre cette résistance aux changements liés à la gouvernance fiscale. La première est le maintien de la souveraineté nationale qui limite les changements institutionnels attendus pour lutter contre l’évasion fiscale. La deuxième est l’intérêt de coopérer selon les règles déjà en vigueur, par peur de perdre du terrain sur la scène internationale.

La chute du projet de « concurrence fiscale dommageable » de l’OCDE, mené de 1997 à 2003, en est une bonne illustration : la défense de la « souveraineté » est devenue l’une des principales stratégies rhétoriques utilisées par les petits États insulaires pour résister à l’ingérence de l’OCDE dans leur législation fiscale (Sharman, 2006). Une deuxième caractéristique qui a favorisé la stabilité du régime est que les États avaient tout intérêt à maintenir une solution au problème de la double imposition qui tournait autour de l’OCDE. Tous les États avaient intérêt à respecter les règles existantes pour faciliter les flux d’investissement transfrontaliers légitimes, même s’ils étaient biaisés dans l’attribution des « droits d’imposition » (Rixen, 2008).

L’approche d’économie politique internationale sur les questions de fiscalité internationale permet ainsi d’appréhender la dimension internationale de la fiscalité qui se trouve elle-même au cœur de la relation entre économie et politique. En se focalisant sur leurs enjeux de pouvoir, une telle approche permet également de s’intéresser à la complexité de sa gouvernance à l’échelle mondiale, des changements institutionnels nécessaires, des pressions continues pour les orienter, ainsi que du rôle de nombreux autres acteurs, y compris ceux de la société civile.

Références

Chavagneux, C. & Palan, R. (2017) Conclusion. Dans : Christian Chavagneux éd., Les paradis fiscaux (pp. 113-118). Paris: La Découverte.

Hearson, M. & Rixen, T. (2020) “Chapter 13: The political science of global tax governance”. In Research Handbook on International Taxation. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing. Retrieved May 4, 2022.

Jogarajan, S. (2020) “The origins of the international tax regime”. In Research Handbook on International Taxation. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing. doi: https://doi.org/10.4337/9781788975377.0…

Kumar, M. S. & Quinn, D. P. (2012) ‘Globalization and corporate taxation’, IMF Working Paper WP/12/252, Fiscal Affairs and Finance Department, October.

Rixen, T. (2008) Conclusion: Which Future for International Tax Governance? En The Political Economy of International Tax Governance. Pp. 198-203. https://link.springer.com/book/10.1057/9780230582651

Sharman, J. C. (2006) Havens in a storm: The struggle for global tax regulation (1st ed.). Ithaca: Cornell University Press

Strange, S. (1996) The retreat of the state: The diffusion of power in the world economy. Cambridge: Cambridge University Press. Swank, D. (2016). The new political economy of taxation in the developing world. Review of International Political Economy, 23(2), 185–207.


Beatriz Pastre

Danish Kandasamy

David da Costa

Edward Gallardo

Eugenia Cabello 

Ismail Sylla

Karen Mogollón

beenhere

Publié en 2022

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